Opus Dei – La Guerre des Mondes (CIBL – Montréal) 28/11/12 : Catholiques et Politique

ÉCOUTEZ L’ÉMISSION LA GUERRE DES MONDES DU 28/11/12 SUR L’INFLUENCE DE LA RELIGION CATHOLIQUE SUR LA POLITIQUE ESPAGNOLE !

Intro : En deuxième partie d’émission, on ira faire un tour du côté de l’Espagne où notre collaborateur, le journaliste Sébastien Rouyet nous parlera de l’influence de la religion sur la politique espagnole.

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La Flagellation et le Couronnement d’Epines de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Maître de Cappenberg – XVIe

KP : Deuxième partie du spécial « Catholiques et politique » de La Guerre des mondes sur CIBL 1015FM. C’est Karine Poirier au micro. Je vais m’entretenir avec le journaliste Sébastien Rouyet. Basé à Madrid, Sébastien est l’auteur du blogue l’Espagne en crise où l’on peut suivre la crise économique, politique et sociale qui frappe durement l’Espagne depuis plusieurs mois.

Bonsoir Sébastien.

SR : Bonsoir Karine, bonsoir à tous.

KP : Sébastien, on s’intéresse ce soir à les liens entre la religion et la politique… et on souhaitait avoir ton point de vue sur la question… il faut le dire, en Espagne, la religion a une toujours eu une grande importance…

SR : L’Espagne reste un des pays les plus catholiques d’Europe. Il y a 70% des Espagnols qui se déclarent de religion catholique. C’est beaucoup, mais le nombre diminue d’année en année. Il y a 10 ans, ils étaient 10% de catholiques en plus. Des catholiques qui sont également beaucoup moins pratiquants qu’avant.

KP : Le gouvernement socialiste de Jose Luis Rodriguez Zapatero a mené une politique laïque alors qu’il était au pouvoir, il y avait notamment deux mesures phares : la légalisation du mariage entre personnes du même sexe et l’évolution de la loi sur l’avortement.

Sébastien, c’est maintenant Mariano Rajoy qui est à la tête d’un gouvernement de droite conservateur en Espagne et les choses ont changé… Les lois promulguées sous le gouvernement socialiste de Zapatero sont aujourd’hui remises en question…

Manifestation contre la réforme de la loi sur l’avortement
Madrid- 29/07/12

SR : Oui, Caroline a parlé de l’avortement. C’est une question qui fait débat en Espagne aussi. Le gouvernement de Mariano Rajoy veut réformer la loi de 2010 sur l’avortement. En fait, le gouvernement veut désormais limiter l’avortement à deux cas. En cas de viol et en cas de risque pour la santé de la mère. Mais pas en cas de malformation du fœtus par exemple. Il faut savoir que la première loi sur l’avortement votée en 1985 par le gouvernement socialiste de l’époque était plus avancée que celle que propose aujourd’hui le ministre de la justice. Ce serait donc un retour en arrière de presque 30 ans.

KP : Et le Parti Populaire – le parti au pouvoir –également tenté d’annuler la loi qui autorise les conjoints de même sexe à se marier…

SR : Oui mais finalement, le Tribunal Constitutionnel s’est prononcé et a confirmé que le mariage entre personnes du même sexe était conforme à la Constitution. Ce coup-là, c’est donc une défaite pour les conservateurs.

Mais c’est finalement assez logique qu’un parti conservateur veule revenir sur des mesures progressistes lorsqu’il arrive au pouvoir. Cependant, on assiste à un véritable décalage entre l’opinion publique et les mesures du gouvernement. Le mariage homosexuel était accepté par plus de la moitié de la population en 2006. Et sur l’avortement, ce sont environ 80% des Espagnols qui sont contre la réforme de la loi, dont 65% parmi les électeurs du Partido Popular.

Il y a donc un décalage, mais en Espagne, il y a une organisation qui a une très grande influence dans les milieux du pouvoir : c’est l’Opus Dei.

KP : L’Opus Dei – que l’on connait assez peu – c’est cette organisation de l’Église catholique reconnue par le Vatican. 

Elle est composée à la fois de prêtres et de laïcs. Elle est présente dans 90 pays et compte environ 90,000 membres. 

Et, elle représente la branche la plus conservatrice de l’Église catholique.

SR : En effet, ses membres cherchent la sanctification par le travail, la famille et la vie sociale. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’ils se soumettent à la volonté de Dieu non pas par la prière mais par leurs actions quotidiennes. Les membres doivent se comporter tous les jours comme des saints et lutter contre ce qui est contraire aux évangiles.

KP : Sébastien, on connait assez peu l’Opus Dei comme je le disais tantôt et quand on en entend parler, c’est souvent suite à une controverse...On la dit très influente et, certains observateurs qualifient l’organisation de « secte » en raison du grande secret et des mystères qui entourent l’organisation.

Paul Bettany
The Da Vinci Code
de Ron Howard (2006)

L’Opus a une réputation sulfureuse et ce n’est pas pour rien que Dan Brown en a fait les méchants de son Da Vinci Code. Par de nombreux aspects, elle peut avoir des allures de secte et cela a d’ailleurs donné lieu a une littérature abondante sur le sujet.

Il faut savoir que cette organisation comprend des membres numéraires qui vivent dans des centres de l’Opus et des membres surnuméraires qui sont des laïcs qui vivent en famille.

Les membres numéraires sont séparés entre femmes et hommes. Ils ne se rencontrent pas mais ce sont quand même les femmes qui sont chargées de faire les tâches ménagères et la cuisine. L’Opus est d’ailleurs souvent taxée de misogynie.

L’absence d’intimité des membres numéraires est aussi critiquée. Tout leur courrier est lu par les directeurs des centres.

Les personnes qui travaillent dans les centres doivent reverser une partie de leur salaire à l’Opus et les membres doivent aussi léguer leurs biens à l’organisation après leur mort.

Ils pratiquent la mortification, c’est-à-dire, par exemple l’auto-flagellation. « Bénie soit la douleur » est un de leurs principes.

Et puis, des témoignages d’anciens membres de l’Opus Dei parlent aussi de lavage de cerveau. Ils disent qu’il serait très difficile de sortir de l’organisation. Afin de mettre la pression sur les membres, on leur dit que s’ils abandonnent l’Opus Dei, ils seront condamnés. Et ceux qui ont tout de même voulu couper les ponts disent avoir été persécutés et avoir été victimes de calomnies.

KP : L’Opus Dei a été créée à Madrid entre la Première et la Seconde Guerre mondiale. L’organisation est très présente et très influente en Espagne….

Josemaría Escrivá de Balaguer
Fondateur de l’Opus Dei

SR : L’Opus Dei, donc l’Œuvre de Dieu en latin, est en fait l’œuvre d’un prêtre espagnol, Josemaria Escriva.

C’est une nuit de 1928 qu’il aurait vécu une expérience mystique qui lui a donné l’idée de créer l’Opus Dei. Il va commencer à recruter des jeunes. Mais en 1936, la Guerre d’Espagne éclate. Elle va stopper le développement de l’Opus. C’est une période qui va beaucoup marquer Escriva. Pour lui, la Guerre d’Espagne c’est la lutte entre Catholiques et Communistes. Il va donc développer une certaine sympathie pour les régimes fascistes. Il voit dans ces régimes un rempart contre le Communisme.

KP : Et c’est justement sous la dictature du Général Franco que l’Opus Dei va se développer et que l’organisation va réussir à joindre les milieux politiques.

SR : Franco appréciait Josemaria Escriva. Après la crise économique que connait l’Espagne en 1956, Franco va commencer à s’entourer de ministres appartenant à l’Opus afin de relancer le pays. Parce que cette idée de sanctification par le travail prônée par l’Opus Dei a fait que ses membres ont développé le culte de la réussite matérielle. L’Opus est favorable au Capitalisme libéral et va orienter l’Espagne dans cette voie. Sous le régime franquiste, l’Opus Dei va prendre de plus en plus de place au sein du pouvoir. En 1969, sur 19 ministres, il y en a 12 qui sont membres de l’Opus.

KP : Sébastien,…  Est-ce que tu peux nous parler de la place qu’occupe l’Opus Dei aujourd’hui dans la politique du pays ?

Tomás Gómez
Secrétaire général des socialistes madrilènes

SR : Après deux législatures de gouvernement socialiste, l’Espagne est de nouveau gouvernée par la droite. Et donc l’Opus a fait un retour en force au sein du Gouvernement. Les ministres de la Défense, de l’Intérieur, de l’Agriculture, des Affaires Étrangères et de la Santé seraient soit membres surnuméraires, soit proches de l’Opus Dei.

Le secrétaire général des socialistes madrilènes, Tomás Gómez, a d’ailleurs fait une sortie il y a quelques mois au moment de l’annonce de la réforme de la loi sur l’avortement. Il a dit que le PP était au service de l’Opus Dei et qu’il faudrait créer une loi afin, je le cite, « d’empêcher les personnes qui appartiennent à ce genre de pseudo-sectes de pouvoir occuper des responsabilités publiques ».

KP : Et il n’y a pas que les socialistes qui impatientent…  certains vont plus loin et affirment que l’Opus Dei semble bénéficier de privilèges quand les Conservateurs sont au pouvoir ?

Collège de l’Opus Dei

SR : Je vais te donner un exemple récent. Cet été, le Tribunal Suprême a rendu un avis qui recommande de supprimer les subventions publiques pour les collèges privés qui séparent les filles et les garçons. C’est ce que font les collèges dirigés par l’Opus. Ils pratiquent un enseignement différent en fonction du sexe de l’élève ce qui est contraire à la loi sur l’Éducation. En plus, si on supprime cette subvention, on économise 3 millions d’euros. Ce qui serait le bien venu puisque le secteur de l’Éducation doit absolument faire plusieurs milliards d’économie. Mais le ministre de l’Éducation Jose Ignacio Wert a immédiatement réagi en affirmant qu’il n’était pas question de supprimer cette subvention. Il envisage même de changer la loi s’il le faut afin que l’Opus puisse continuer à bénéficier de l’argent publique.

Mais l’Opus n’est pas présent uniquement au sein de la classe politique.

IESE Business School
université de l’Opus Dei

L’organisation a petit à petit infiltré les postes clés de la bureaucratie espagnol. Il y a aussi des banquiers et des juges qui sont membres de l’organisation. De nombreux professeurs d’université sont membres. Il y a d’ailleurs en Espagne deux universités appartenant à l’Opus. L’une d’elles forme des futurs chefs d’entreprises. Il y a des hôpitaux de l’Opus aussi.

Tout cela forme un immense réseau. Les détracteurs de l’organisation disent qu’il permettrait aux membres de l’Opus de bénéficier de privilèges, d’obtenir des subventions publiques, de s’enrichir et donc d’enrichir l’organisation.

KP : D’ailleurs, il y a plusieurs affaires de corruption impliquant des membres de l’Opus Dei qui ont été mises à jour.

Juge Baltasar Garzón

Mais très peu ont abouti à des condamnations. La dernière grosse affaire en date, le cas Gürtel, a été révélée en 2009. Elle implique de nombreux membres du PP et de l’Opus. Mais c’est finalement le juge chargé de l’instruction qui a fini par être poursuivi. Le juge Garzon, un juge super-star ici et qui a notamment poursuivi l’ex-dirigeant du Chili Augusto Pinochet. Il a dû mettre fin à sa carrière juridique pour une histoire de mise sur écoute illégale. Mais ce qui se dit surtout ici, c’est qu’il n’aurait pas dû s’attaquer à l’Opus Dei.

Donc, même quand la droite n’est pas au gouvernement, l’Opus Dei resterait très influente. Et je ne vous parle ici que de l’Espagne.

KP : Sébastien, merci beaucoup d’avoir éclairé pour nous les rapports entre la politique et la religion en Espagne. C’est toujours un grand plaisir de t’avoir à l’émission. À très bientôt !

SR : Hasta luego Montreal !

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LIENS :

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