La Catalogne sur le chemin de la sortie – Libéation, 26/11/12

ANALYSE La victoire des souverainistes et le score de la gauche séparatiste, dimanche, engagent la région vers l’indépendance.

Par FRANÇOIS MUSSEAU MADRID, de notre correspondant

L’homme qui prophétisait sur «la Catalogne libre et souveraine ou le déluge» n’a pas obtenu la «majorité exceptionnelle» qu’il réclamait aux Catalans pour les emmener vers l’indépendance. «Nous sommes loin du compte», a reconnu le leader nationaliste Artur Mas, qui, lors de la campagne pour les élections régionales de dimanche, n’avait pas hésité à comparer son projet de divorce avec l’Espagne au retour d’Ulysse vers Ithaque, une référence classique très présente dans l’imaginaire catalan. Pour autant, si Mas essuie un échec personnel, son pari souverainiste est loin d’être mort : il pourrait même être renforcé par l’ascension fulgurante des indépendantistes radicaux d’Esquerra (ERC, gauche), désormais deuxième force parlementaire, si une alliance est scellée avec eux.

De fait, quoique déçu par son score, Artur Mas a confirmé dimanche soir le maintien du cap sécessionniste. Un «rêve» que, à la mi-novembre, il définissait avec un lyrisme à la Kennedy : «Nous sommes une vieille nation d’Europe, avec mille ans d’histoire. Et, après des siècles où nous avons courbé l’échine et où nous nous sommes excusés d’être ce que nous sommes, voici le moment venu de nous émanciper.»

Embûches. Si Artur Mas concrétise son pacte avec les séparatistes d’ERC, rien ne devrait pouvoir l’empêcher d’avancer dans la direction qu’il s’était fixée avant le scrutin. Pendant la campagne, le leader nationaliste avait fixé la tenue d’un référendum «au cours de son mandat», c’est-à-dire d’ici 2016, et avait promis aux siens l’existence d’un Etat catalan au sein de l’Union européenne à l’horizon 2020. Désormais, étant donné l’influence de ses très probables compagnons de route indépendantistes (la formation Esquerra est beaucoup plus pressée), la date du référendum pourrait être avancée à 2014.

«Nous savons parfaitement que le soufflet indépendantiste, alimenté par la crise économique et surtout par le jacobinisme autoritaire de Madrid, peut s’essouffler au fil des ans, confie un député d’Esquerra. Il ne faut pas perdre de temps avec la consultation.»

Dans les rangs séparatistes – incluant des proches d’Artur Mas -, on espère fermement pouvoir faire coïncider un référendum en Catalogne avec celui prévu en Ecosse – avec l’accord de Londres – pour l’automne 2014. L’analyste Ferran Requejo, favorable à la sécession, y voit un l’occasion de réaliser un tir groupé, facilitant «la déclaration formelle d’indépendance et l’entrée de plein droit dans l’UE». Voilà, en tout cas pour les séparatistes, le scénario idéal. D’autant que, d’après les sondages – à la différence de l’Ecosse -, une courte majorité pro-indépendance existe en Catalogne.

Reste que les obstacles sont considérables voire, pour de nombreux observateurs, infranchissables. D’une part parce qu’une sortie de l’Espagne serait forcément «illégale» : un référendum n’est possible qu’après une réforme de la Constitution de 1978 (dont l’article 2 proclame «l’indissoluble unité de l’Espagne») sur proposition du Roi et après le vote majoritaire de la Chambre des députés à Madrid. Inimaginable. D’autre part parce que, selon les traités européens, la formation d’un nouvel Etat suppose sa sortie préalable de l’Union et de la zone euro. Or, au moment de demander son entrée, la Catalogne fera forcément face, au minimum, à un veto de Madrid. Le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, l’a martelé ce week-end : «Hors d’Espagne et hors d’Europe, la Catalogne est condamnée à n’être rien.»

Des embûches de taille qui, pourtant, ne semblent pas décourager le camp séparatiste, emmené par un Artur Mas visiblement disposé à poursuivre cette périlleuse aventure. Depuis l’immense succès de la fête régionale catalane (la Diada) du 11 septembre – où 1,5 million de personnes avaient défilé derrière le slogan «Catalunya, nou Estat d’Europa» (La Catalogne, nouvel Etat d’Europe) -, le leader nationaliste s’évertue à démontrer la parfaite viabilité d’une Catalogne souveraine.

«Locomotive». Mas et les siens s’appuient sur le concept de«l’agrandissement interne de l’Europe», autrement dit un morcellement accéléré, arguant que de nombreux Etats européens sont plus modestes qu’une hypothétique Catalogne indépendante. C’est notamment la thèse du «Cercle d’Estudis sobiranistas», un club de réflexion catalaniste. Le pays brandi comme modèle est le Danemark :«Il nous ressemble, affirme Artur Mas. Il possède une langue propre, une histoire singulière, une superficie similaire, une population et une économie dont le poids est comparable. Ce pays gêne-t-il les autres de l’Union ? Non.»

Les séparatistes défendent aussi avec véhémence la viabilité économique d’un nouvel Etat. Et ce même si nombre d’économistes espagnols soutiennent le contraire, étant donné le niveau d’endettement considérable de la Catalogne (42 milliards d’euros) et le fait que, acculée par ses engagements financiers, elle a demandé à Madrid un prêt de 5 milliards d’euros pour payer le service de sa dette et rétribuer tant ses fonctionnaires que ses prestataires de service. «Nous sommes bien conscients aussi que, le moment venu, l’Espagne ne nous fera pas de cadeau et nous obligera à prendre en charge une partie de sa dette à des conditions désavantageuses, reconnaît le député d’Esquerra. Bien sûr, nous passerons par des zones de turbulence et d’incertitudes. Mais la Catalogne a les reins assez solides pour s’en sortir.»

La force de la «locomotive de l’Espagne» (18% de la population, mais 20% du PIB et 26% des exportations) et sa prédominance dans le secteur high-tech sont deux arguments régulièrement avancés par Artur Mas : «En trente ans, notre contribution nette à l’Espagne a été de 300 milliards d’euros. En échange de quoi Madrid n’a que très peu investi dans les infrastructures catalanes. La création d’un Etat propre est la seule façon de mettre fin à cette injustice.» Selon ses calculs, un Etat catalan arriverait à la 7e place des Vingt-Sept en termes de PIB par habitant.

Beaucoup ne partagent pas l’optimisme des sécessionnistes. La plupart des économistes estiment qu’une partition de l’Espagne signifierait un appauvrissement mutuel. «Si on regarde la balance commerciale catalane, on voit qu’elle est déficitaire avec l’étranger et ultra-excédentaire avec le reste de l’Espagne, soutient l’analyste Xavier Vidal-Folch. Même dans le cas d’une rupture pacifique, comme en Tchécoslovaquie, l’affaiblissement économique touche les deux parties. Or, dans le cas espagnol, on peut imaginer des embargos et des relations commerciales hostiles.» D’où, pour ne pas en arriver là, le souhait – majoritaire en Espagne – d’accentuer le modèle fédéral comme solution. «N’oublions pas, souligne Lluis Basset, éditorialiste d’El País, que la Catalogne est peut-être l’Allemagne de l’Espagne, mais que sa situation actuelle serait plutôt proche de celle de la Grèce.»

La Catalogne sur le chemin de la sortie Libéation, 26/11/12

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