Émission : La Guerre des Mondes
Chronique : La manifestation de la police et les violences policières
Auteur : Sébastien Rouyet
Intro – tour de table
En deuxième partie d’émission, on ira rejoindre à Madrid, le journaliste Sébastien Rouyet, auteur du blogue Espagne en crise. Il nous parlera d’une récente manifestation de policiers et des violences policières qui accentuent la méfiance des Espagnols envers les forces de sécurité.
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Chronique
KP : Deuxième partie de La Guerre des mondes sur les ondes de CIBL sur les ondes de CIBL 1015FM. Cette semaine, on vous parle de l’Espagne. On a d’ailleurs le plaisir de nous entretenir avec l’auteur du blogue espagneencrise.wordpress.com un blog en français qui traite des effets de la crise sur la vie quotidienne des gens afin de nous aider à mieux les comprendre. Le blogue rassemble des informations peu ou pas diffusées dans les pays francophones. C’est donc une source intéressante pour avoir un autre coup d’oeil sur ce qui ce passe en Espagne. Sébastien Rouyet, bonsoir !
SR : Bonsoir Karine.
KP : Sébastien, la crise économique touche tout le monde en Espagne – on a eu l’occasion d’en parler avec Caroline en première partie d’émission… Résultats de ces difficultés économiques, les protestations se multiplient. Il y a une quinzaine de jours, c’était au tour des policiers de manifester….
SR :C’est vrai Karine, ici en Espagne, il n’y a pas une semaine qui passe sans qu’il y ait au moins une manifestation. Et le week-end, il y en a parfois plusieurs par jour. Ce matin, par exemple, c’était les étudiants qui manifestaient. La situation économique est tellement catastrophique que toutes les catégories sociales et tous les corps de métier sont touchés par ce qu’on appelle ici les « recortes », c’est-à-dire les coupes budgétaires. Ce qui pousse beaucoup d’Espagnols à aller crier leur colère dans la rue. En ce moment, tout le monde manifeste en Espagne, et, désormais, les policiers aussi.
KP : Cette manifestation s’est déroulée le 2 octobre dernier. Elle était organisée par trois syndicats de police. Quelles étaient leurs revendications ?
SR :Comme tout lemonde, les policiers se plaignent des réductions budgétaires. En 2010, leur salaire a été diminué de 5%, il a été gelé en 2011 et 2012 et il le sera encore en 2013. Leur prime de fin d’année et certains jours de congé ont aussi été supprimés. En plus, les effectifs ont été diminués ce qui rend leur travail évidemment plus compliqué.
Ceci dit, ils ne sont pas les seuls. En fait, ces mesures ont été appliquées à toute la fonction publique.
KP :Sébastien, les syndicats de police présents à la manifestation avaient aussi une autre revendication, beaucoup plus symbolique celle-là, et c’est aussi ce qui a davantage attiré l’attention. Quel message souhaitaient-ils faire passer ?
SR : Les policiers en ont aussi assez de l’image extrêmement négative qu’ils véhiculent auprès de la population. Et les syndicats pointent du doit le gouvernement. Ils dénoncent une instrumentalisation de la police et reprochent aux hommes politiques de se cacher derrière elle pour ne pas avoir à assumer leurs choix politiques.
Les syndicats font, en fait, allusion aux interventions musclées de la police antiémeute lors des manifestations et notamment lors de la mobilisation du 25 septembre dernier.
KP : Cette mobilisation du 25 septembre dont tu parles, c’est cette grande manifestation qui a réuni des milliers de personnes devant le Congrès des Députés à Madrid… Elle s’est terminée en affrontements entre policiers anti-émeutes et manifestants. On a assisté à des scènes d’une violence incroyable. Les images qui sont parvenues jusqu’ici ont beaucoup choquées…
SR : Cette manifestation et celles qui ont suivi se sont toujours déroulées de la même façon. Des milliers de citoyens se réunissent place de Neptuno à Madrid, à une centaine de mètres du Congrès puisque la rue du Congrès est elle barricadée par les forces de l’ordre. Après quelques heures, les policiers antiémeutes sortent pour disperser la foule. En général ils font ça à grands coups de matraques, parfois en tirant des balles en caoutchouc. Sauf qu’ils ne font pas que les disperser et les évacuer de la place de Neptuno. Les policiers poursuivent les manifestants dans les rues avoisinantes.
Le 25 septembre, ils ont couru après des manifestants jusque dans la gare d’Atocha qui est pourtant à une dizaine de minutes à pied du Congrès, sans doute moins quand on est poursuivi par la police. Ils voulaient rattraper des casseurs mais ils ont créé un mouvement de panique générale dans la gare, en frappant au hasard et en confondant manifestants, voyageurs et journalistes.
KP : On imagine bien la panique créée effectivement… Suite à ces événements, ces débordements…, est-ce qu’il y a eu une réaction du gouvernement ?
SR : Pour le gouvernement, il ne s’agissait pas de débordements. Il faut savoir que la police ne charge jamais sans autorisation politique. Le gouvernement a, au contraire, félicité l’action des policiers et le chef de la police a été décoré quelques jours plus tard. Cristina Cifuentes, la déléguée du gouvernement a justifié les charges par, je cite, « la violence extrême de certains manifestants. » Ils auraient retrouvé 267 kilos de pierres et autres projectiles sur la place. Des projectiles que les manifestants auraient amenés dans leur sac à dos pour les lancer sur la police.
KP : Sébastien, l’image négative de la police qu’a la population espagnole est bien sûr dû aux débordements dont tu nous as parlé et aux violences observées lors des manifestations, mais les médias ont-ils également joué un rôle important dans la construction de celle-ci ?
SR : Pas tellement les médias espagnols, figures-toi. En tout cas, pas au début. Il faut dire que beaucoup d’organes de presse sont proches de la droite au pouvoir. Mais les médias internationaux couvraient également l’événement et ils ont relayé ce qui s’est passé ce soir-là. Par contre, lors des manifestations suivantes, les camionnettes des chaînes de télévision n’étaient plus autorisées à pénétrer sur la place. Officiellement pour ne pas gêner la circulation.
De toute façon, les gens ont posté des centaines de vidéos amateurs sur Youtube. Ce sont des images qui ont fait le tour du monde.
KP : Des vidéos amateurs qui sont parfois très violents, mais qui font foi d’une réalité qui elle aussi est très violente… Sébastien, Il y a une image très forte qui a beaucoup circulé en Europe, un peu moins chez nous, c’est cette photo d’un patron de café qui fait littéralement barrage avec son corps pour protéger les manifestants qui étaient venus se réfugier dans son café. Tu vas nous raconter son histoire…
SR : Alberto Casillas, c’est le nom de ce cafetier de 49 ans qui est devenu un des héros du 25 septembre. C’est le typique patron de café espagnol avec sa chemise blanche à manches courtes et sa cravate noire. Ce soir-là, des manifestants poursuivis par la police se réfugient dans son café. Le patron se met alors devant sa porte pour empêcher les forces de l’ordre d’entrer. Il leur crie « Sur ma vie vous ne passerez pas. On va assister à un massacre ! » Il tient bon malgré les menaces de la police qui finit par se retirer. Ce qui est symbolique, c’est qu’Alberto Casillas est un électeur du Partido Polpular, le parti conservateur au pouvoir. Il a ensuite déclaré : « Lapolice a dépassé les limites. Je suis pour le respect de la loi, mais au-delà des lois, il y a l’humanité. »
Mais l’anecdote ne s’arrête pas là. Le lendemain, il y a une nouvelle manifestation place de Neptuno. Un groupe de manifestants décide d’aller au café pour remercier Alberto Casillas pour son geste. À ce moment-là il y a une patrouille de police qui passe devant le café et qui décide de disperser l’attroupement. Il y a une bousculade, Alberto tombe, fait un malaise et est emmené à l’hôpital. Rien de grave mais le lendemain il déclare qu’il va rendre définitivement sa carte du Partido Popular.
Cette histoire montre bien toute la méfiance qui existe désormais entre la population et les forces de l’ordre. Et c’est donc aussi pour cela que les policiers en ont marre et ont été manifester à leur tour.
KP : Tu t’es justement rendu à cette manifestation de policiers…. une manifestation qui contrastait fort avec celles de la place de Neptuno.
SR : Le même jour, il y avait de nouveau un rassemblement, le soir, devant le Congrès. Mais c’est pas là que les policiers ont été manifester. Eux ills se sont rendus à midi devant le ministère de l’Intérieur. Et ils étaient à peine une centaine. Cela étant, c’est le message qui est important. Ils disent clairement aux hommes politiques : « Assumez vos responsabilités ! » « Ne vous cachez plus derrière nous. »
Leur message s’adresse aussi aux citoyens. Ils leur disent que ce ne sont pas les policiers qui sont responsables de la situation qu’ils vivent.
Et enfin, les policiers rappellent que leur boulot, c’est aussi de repérer les casseurs dans les rassemblements et de les neutraliser.
KP : Est-ce que cette manifestation a eu un impact auprès des hommes politiques et de la population ? Est-ce que le message de policiers a été entendu ?
SR : Très peu je pense car la manifestation, comme je l’ai dit, a eu un succès limité. Et les médias n’en ont pas tellement parlé.
Par contre, ce que je peux vous dire c’est que ce week-end, une fête de quartier a dégénéré en affrontements entre citoyens et policiers. Pourtant, ce n’était pas un quartier particulièrement « chaud » et la police faisait une intervention tout ce qu’il y a de plus banal. Mais les gens sont sur des charbons ardents en ce moment. La distance est devenue tellement grande entre les citoyens et ceux qui sont censés les protéger que ça dérape très vite.
Suite à cet incident, le Collectif Professionnel de la Police Municipale a d’ailleurs publié un communiqué dans lequel il dit : « Agresser la police va bientôt devenir un sport national. »
KP : On sent en effet que la situation ne va malheureusement pas en s’améliorant. Sébastien, ça a été un plaisir de t’avoir avec nous pour cette chronique. Je rappelle que tu es auteur du blogue l’espagneencrise, le lien sera évidemment sur notre site Internet. Je donnerai la référence complète à la fin de l’émission.
Merci et à bientôt !
SR : Merci…
KP : On s’arrête le temps d’une chanson, au retour Sylvain Quidot nous parle d’expulsions forcées à La Guerre des mondes.
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