La majorité conservatrice vient d’adopter une loi particulièrement liberticide dans le but de museler les contestataires. Désormais, il est notamment interdit de manifester devant le Congrès des Députés. Mais les Espagnols ont déjà trouvé un moyen de contourner cette loi.
C’est sans doute la première fois depuis de nombreuses années que la police n’a procédé à aucune arrestation au cours d’une manifestation devant le Congrès des Députés. Et pour cause, aucun manifestant n’était physiquement présent plaza de las Cortes, à Madrid, le vendredi 10 avril.
Une manifestation d’hologrammes, voilà donc la solution trouvée par la plateforme citoyenne No Somos Delito pour contourner la nouvelle loi de Sécurité Citoyenne qui interdit, notamment, toute protestation devant le Sénat, la Chambre des députés ou quelconque parlement régional. Les images vidéos 3D ayant été envoyées à la plateforme par plus de 2000 citoyens.
Cette restriction au droit de manifester fait partie des 44 conduites désormais considérées comme répréhensibles reprises dans la loi de Sécurité Citoyenne votée, seule contre tous, par la majorité conservatrice, le 26 mars dernier. Une loi immédiatement rebaptisée par l’opposition « ley mordaza » – loi bâillon – en raison de son aspect particulièrement liberticide qui nous rappelle que l’Espagne est une démocratie encore jeune.
En fait, le gouvernement vient de se doter d’un cadre législatif sur mesure lui permettant de museler toute forme d’opposition citoyenne. Les peines encourues, oscillant entre 100 € et 600.000 € d’amende, étant particulièrement persuasives. Voici quelques-uns des comportements désormais interdits.
Manifester devant le Congrès : de 600 € à 30.000 € d’amende
Souvenez-vous des gigantesques manifestations contre l’austérité qui réunissaient des dizaines de milliers de personnes et qui étaient marquées par des violences policières inouïes. Vous en avez sûrement vu des images à la télévision. Ces rassemblements se déroulaient plaza de Neptuno, juste en face du Congrès des Députés. Elles sont désormais interdites.
Filmer des policiers dans l’exercice de leurs fonctions : de 600 € à 30.000 € d’amende
Tiens, puisqu’on évoque les violences policières, là aussi le gouvernement a trouvé une solution. En effet, la police a la fâcheuse tendance à avoir la matraque un peu lourde et de simples interpellations se sont souvent terminées en passage à tabac. Or, au XXIème siècle, il se trouve toujours un passant pour sortir son téléphone portable, filmer la scène et la poster sur Youtube. Une mauvaise image que le gouvernement a décidé de corriger, non pas en incitant les forces de l’ordre à plus de retenue, mais bien en interdisant aux citoyens de filmer ces débordements.
Empêcher une expulsion immobilière : de 600 € à 30.000 € d’amende
Avec la crise, des milliers d’Espagnols ont perdu leur emploi et se sont retrouvés dans l’incapacité de rembourser leur hypothèque. Or, en Espagne, la banque peut saisir un logement après seulement un mois de retard de paiement. De plus, si le bien a perdu de sa valeur – avec la crise c’est presque systématiquement le cas – la banque demande également de payer la différence. Souvent, les parents des acheteurs, qui se sont portés garants, sont eux aussi poursuivis. Et ce sont des familles entières qui se retrouvent endettées à vie du jour au lendemain. Au cours de l’année 2013, la justice espagnole a exécuté 67.189 ordres d’expulsion, soit 182 par jour. De nombreuses personnes acculées ont d’ailleurs préféré le suicide. Face à cette situation dramatique, des plateformes citoyennes ont pris l’habitude de bloquer les expulsions immobilières en empêchant les huissiers d’atteindre les logements visés. Par ailleurs, des pompiers, chargés d’ouvrir les portes des gens qui se barricadent chez eux, ont refusé d’obéir. « Nous sauvons des vies, pas les banques », avaient-ils alors manifesté. Un élan de solidarité que la loi bâillon punit désormais sévèrement.
Occuper un immeuble contre la volonté du propriétaire : 100 € à 600 € d’amende
L’un des charmes indéniables de l’Espagne, ce sont ses squats. Rassurez-vous, on ne parle pas ici de squats où les junkies viennent s’injecter leur dose d’héroïne, mais bien de squats culturels et citoyens. Petit rappel historique. En Espagne, il y a eu énormément de spéculation immobilière, parfois mâtinée de corruption. C’est d’ailleurs l’une des causes principales de la crise économique. Le pays se retrouve donc aujourd’hui avec énormément de bâtiments vides (on en dénombrait plus de 14.000 en 2013). De nombreuses associations ont pris l’initiative d’investir ces lieux afin de les réhabiliter en centres culturels, en ateliers pour enfants, en bibliothèques, en salles de classes pour adultes, en magasins gratuits. L’objectif étant avant tout d’offrir aux citoyens les services que ne leur proposent plus les autorités locales. Des initiatives tout à fait remarquables qui remettent, une fois encore, la solidarité au cœur de la sphère sociale. Cependant, le Gouvernement voit avant tout ces lieux comme des repaires de chavistes aux cheveux longs en train de comploter contre le pouvoir et a décidé de les interdire. Les bâtiments resteront vides.