Ceux qui ont visité l’Espagne l’auront remarqué, les horaires y sont quelque peu inhabituels. Par exemple, il est souvent difficile d’y trouver un magasin ouvert en plein milieu de l’après-midi. Les touristes doivent aussi s’habituer à prendre leurs repas « à l’heure espagnole », c’est-à-dire après 14h pour le déjeuner et après 21h pour le dîner. Une particularité qui vient d’être remise en cause par un rapport présenté devant le Congrès des Députés le 26 septembre dernier. La commission parlementaire chargée d’analyser la productivité des travailleurs y pointe les dérives engendrées par le système horaire espagnol et recommande ni plus ni moins au gouvernement de changer de fuseau horaire ainsi que de réorganiser la journée de travail. En effet, les Espagnols ont beau passer beaucoup de temps au bureau, ils sont loin de se classer pas parmi les travailleurs les plus efficaces d’Europe. La faute, d’après la commission, à une mauvaise répartition des heures de travail dans la journée.
Pourquoi les Espagnols prennent-ils leurs repas si tard ?
En fait, les Espagnols mangent quasiment à la même heure que la plupart de leurs voisins européens. Certes, pas à la même heure légale mais à la même heure solaire. Géographiquement, l’Espagne se trouve en grande partie à l’Ouest du méridien de Greenwich et devrait logiquement synchroniser ses montres avec celles de la Grande-Bretagne et du Portugal. Pourtant, le pays se trouve sur le même fuseau horaire que les pays d’Europe centrale. Une anomalie due à des raisons historiques.
En 1884, la plupart des grandes nations du monde se réunirent à Washington afin de s’accorder sur une façon universelle de définir les heures de la journée. Il fut décidé que midi correspondrait approximativement au moment où le soleil se trouve à son zénith et que le méridien de Greenwich deviendrait la référence pour établir les fuseaux horaires. L’Espagne fut versée dans le même fuseau horaire que la Grande-Bretagne, le Portugal et la France, et affichait une heure en moins que les pays d’Europe centrale.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne conquérante imposa à la France de régler ses horloges sur celles de Berlin. Le Royaume-Uni avança également sa montre d’une heure afin d’éviter le moindre malentendu avec les alliés. Enfin, en Espagne, Franco décida de s’ajuster sur l’Allemagne par sympathie pour Hitler.
En 1945, la Grande Bretagne revint à son fuseau horaire originel tandis que la France, plus proche géographiquement des pays d’Europe centrale décida de ne pas faire marche arrière. Quant à Franco, il s’abstint tout simplement de remettre les horloges à l’heure.
« Nous vivons dans un jet lag permanent. Comme notre heure officielle ne correspond pas à l’heure solaire, nos habitudes en sont perturbées », souligne, dans le journal El País, Nuria Chinchilla, directrice du Centre International du Travail et de la Famille, qui a participé à la rédaction du rapport.
Pourquoi les Espagnols sont-ils moins efficaces alors qu’ils travaillent beaucoup ?
En moyenne, les Espagnols travaillent 277 heures de plus que les Allemands sur une année. Pourtant, ils sont moins productifs. La faute, selon les experts, à de trop nombreuses pauses.
L’Espagnol moyen commence sa journée de travail à 9h et l’interrompt par deux fois. Vers 11h pour prendre un en-cas afin de tenir le coup puisque les matinées sont longues, puis vers 14h pour aller déjeuner. Cette deuxième pause peut durer deux heures et être agrémentée d’une petite sieste.
Ce modèle de journée de travail saucissonnée en trois périodes interrompues par des pauses trop longues serait fatal à la concentration et l’énergie de l’employé et donc à son efficacité. Cela nuirait également à sa qualité de vie. Les Espagnols dorment en moyenne une heure de moins que leurs voisins européens.
Comment améliorer la qualité de vie et la productivité des Espagnols ?
Le rapport soutient qu’en changeant de fuseau horaire pour avancer l’heure du repas, on pourrait supprimer la pause petit-déjeuner. Les experts préconisent aussi d’écourter la pause-déjeuner pour que les Espagnols recommencent à travailler plus tôt. Il y aurait alors un meilleur équilibre entre la matinée et l’après-midi. Le travailleur pourrait également consacrer chaque jour 90 minutes en plus à sa vie personnelle.
Est-il possible de changer les habitudes des Espagnols ?
Selon les experts, le changement d’horaires de travail ne peut être une action isolée. « Si les grandes entreprises sont convaincues que ce changement non seulement n’est pas préjudiciable mais qu’en plus il augmente le rendement des travailleurs, elles s’y rallieront », assure, toujours dans El País, Ignacio Buqueras, président de la Commission Nationale pour la Rationalisation de Horaires Espagnols.
Mais c’est toute la société espagnole qui devrait être réorganisée. Comme les horaires scolaires par exemple, mais aussi l’heure du prime time en télévision. Aujourd’hui, 90% des programmes vedettes se terminent après 23h30 et 55% après minuit car il faut attendre 22h pour que 80% de la population soit rentrée à la maison.
Rien d’insurmontable cependant. Mais ce sont les habitudes sociales qui seront sans doute plus difficiles à modifier. Par exemple, en Espagne, il est encore possible de prendre son repas de la mi-journée en famille, surtout dans les petites villes. Et cela aussi est un indice de bien-être. Le gouvernement a promis, pour sa part, que le rapport ne resterait pas dans un tiroir.
Ce ne serait pas plus simple de dire que la journée commence à 10h? Les espagnols se lèveraient plus tard, n’auraient pas besoin de pause petit-dej et dormiraient 1h de plus. Et puis le rythme de travail correspondrait au rythme solaire.