La commission d’évaluation du CIO était à Madrid cette semaine afin d’examiner la candidature de la ville à l’organisation des Jeux Olympiques de 2020. La capitale a des arguments à faire valoir. Mais l’opportunité de se lancer dans une telle entreprise fait débat.
Après avoir loupé les éditions de 2012 et de 2016, Madrid tente pour la troisième fois consécutive d’accueillir les Jeux Olympiques d’été. Arrivée troisième derrière Londres et Paris lors de sa première candidature, puis battue au dernier tour par Rio de Janeiro lors de sa seconde tentative, la ville est aujourd’hui en concurrence avec Tokyo et Istanbul pour l’obtention des J.O. 2020. Les membres de la commission d’évaluation du Comité International Olympique (CIO) étaient d’ailleurs en visite toute la semaine dans la capitale espagnole afin de juger de la capacité des autorités locales à organiser le plus grand événement sportif mondial.
Cependant, le contexte socio-économique a changé depuis les dernières tentatives. Et une question ne cesse d’être débattue : est-il bien prudent de se lancer dans une entreprise aussi coûteuse alors que le pays est rongé par la crise ? D’autant que l’organisation des Jeux Olympiques n’est pas toujours synonyme de succès économique pour la ville hôte. Le souvenir de l’échec retentissant des Jeux d’Athènes 2004 reste encore dans toutes les mémoires.
Le fantôme d’Athènes, l’exemple de Barcelone
En effet, si Montréal ’76 fut le plus grand désastre financier de l’histoire des Jeux (la ville a continué à payer la note jusqu’en 2006), l’édition grecque fut un exemple de mauvaise organisation. Ces vingt-huitièmes olympiades de l’ère moderne furent également marquées par plusieurs affaires de corruption. Quant aux nouvelles infrastructures construites pour l’occasion, elles ne furent pour la plupart plus jamais utilisées par la suite, transformant la zone olympique en village fantôme. De nombreux analystes cherchent d’ailleurs l’origine de la crise financière hellène dans l’organisation des Jeux Olympiques de 2004. Le déficit budgétaire passant cette année-là d’un taux de 3,7% à 7,5% du PIB.
Mais les autorités espagnoles, elles, préféreront sans doute prendre comme référence Barcelone ’92. Un exemple de rentabilité. Cette édition avait eu un impact économique de 18,678 milliards d’euros pour un coût de 6,728 milliards. En outre, les Jeux avaient permis de booster le tourisme (1,7 million de visiteurs en 1992, presque 8 millions en 2007) et avaient donné l’occasion à la ville d’effectuer un grand renouvellement urbanistique (ouverture de la ville sur la mer, rénovation du quartier historique, création de parcs et lieux de promenade, etc.).
Qu’en sera-t-il de Madrid ? Est-il raisonnable de dépenser des milliards dans un événement aux retombées incertaines alors que le pays est marqué par des coupes budgétaires sans précédent dans des domaines aussi essentiels que la santé ou l’éducation ? C’est la question que se posent les plus sceptiques.
Pendant cinq jours, les autorités du pays – le président du gouvernement Mariano Rajoy en tête – ont en tout cas tout fait pour convaincre les examinateurs du CIO en mettant en avant les avantages de la capitale.
« Les Jeux font partie de l’ADN de Madrid »
Premier argument infaillible : les Espagnols sont des fous de sport. Une passion sans cesse stimulée par les nombreux succès que remporte le pays en football, tennis et cyclisme, mais également en basket, handball et sports moteurs. « Les Jeux font partie de l’ADN de Madrid » a déclaré Ana Botella, la maire de la ville. Le site Madrid 2020 annonce d’ailleurs fièrement que, d’après un sondage commandé par le Comité Olympique Espagnol en septembre dernier, 80% des Espagnols soutiennent la candidature de la ville. Et en effet, Madrid était particulièrement calme cette semaine, alors que les manifestations s’y succèdent habituellement à un rythme effréné. Les syndicats avaient bien appelé à prolonger la grève du métro pour l’occasion, mais celle-ci est passée inaperçue puisque les examinateurs effectuaient lors déplacement dans un autocar escorté par la police. Quant à la vingtaine de manifestants réclamant tous les soirs devant l’hôtel des invités « moins d’Olympiades et plus de sport public » ne les ont pas empêché de dormir.
Dans son discours de bienvenue, Mariano Rajoy a de son côté vanté l’attractivité de l’Espagne, quatrième destination touristique mondiale derrière la France, les États-Unis et la Chine, ainsi que sa capacité d’accueil (58 millions de touristes ont visité le pays en 2012).
Afin de couper court à ceux qui la taxent de laxisme en matière de lutte antidopage, l’Espagne vient aussi d’adopter une nouvelle loi pour combattre les tricheurs.
Des J.O. low cost
Les autorités insistent par ailleurs sur le fait que 80% des installations nécessaires existent déjà. Si la ville est choisie, il faudra juste construire le stade olympique, le centre aquatique et le village. Des travaux évalués à 1,7 milliard d’euros. Mais la ville promet qu’aucun investissement dans de nouvelles infrastructures ne sera fait avant que le CIO n’ait désigné le vainqueur le 7 septembre prochain. Au total, le budget ne devrait pas dépasser les 4 milliards d’euros, moins de la moitié de ce qu’ont coûté les J.O. de Londres. Un investissement qui sera à 100% privé assure-t-on du côté du gouvernement.
Enfin, l’organisation des Jeux pourrait accélérer la sortie de la crise et créer 83.000 emplois selon les prévisions. À noter que c’est également ce que s’étaient dit les Italiens mais Rome a finalement jeté l’éponge. Mario Monti, le chef du gouvernement italien, déclarant que la candidature romaine était « irresponsable dans les conditions actuelles ». L’Espagnol Juan Antonio Samaranch Jr., membre du CIO, assure quant à lui que les Jeux de Madrid devraient engranger 3,866 milliards de bénéfice.
Cependant, les opposants au projet rappellent que les estimations sont souvent inférieures au coût réel. Pour Londres ’12, le gouvernement britannique avait d’abord budgété 2,8 milliards d’euros en 2005, puis 10,8 milliards en 2007. Selon une enquête de la chaîne de télévision anglaise Sky Sports, les Jeux auraient finalement coûté 14,3 milliards d’euros.
Par ailleurs, les sceptiques se demandent bien quels investisseurs privés oseront se lancer dans l’aventure et financer les Olympiades. En Grande-Bretagne, les organisateurs avaient aussi tablé sur un financement privé qui ne s’est qu’en partie concrétisé en raison de la crise économique.
Austérité assumée
Interrogé par le quotidien 20 Minutos, José María Mella, professeur d’Économie à l’Université Autonome de Madrid, estime pour sa part que « si les investissements sont bien faits, les résultats peuvent être positifs. » Pour le professeur, l’organisation des J.O. devrait augmenter la consommation, accroître le nombre de touristes et provoquer l’arrivée de capitaux étrangers. « Tout cela devrait créer de l’emploi, ce qui est le plus important. » Il souligne aussi que Madrid et l’Espagne bénéficient d’une bonne image dans le monde, mais que la crise risque d’avoir une influence négative sur la candidature. Enfin, José María Mella insiste : « La mairie de Madrid est la plus endettée d’Espagne. L’investissement ne devra pas se faire seulement pour les 15 jours que dureront les Jeux Olympiques. Après, il faut pouvoir tout réutiliser. »
Finalement, en prônant des « Jeux Olympiques de l’austérité », Madrid avance un argument marketing qui pourrait, contre toute attente, séduire la commission. Car après les dépenses folles d’Athènes, Pékin et Londres, le CIO serait à la recherche d’une candidature plus modeste et potentiellement rentable afin de ne pas effrayer les futures villes postulantes. Si l’austérité devient un critère de sélection prépondérant, Madrid terminera sans aucun doute sur la plus haute marche du podium.