La 27ème cérémonie des Goya qui s’est déroulée dimanche 17 février restera sans doute comme l’une des plus polémiques de l’histoire de ces Oscar du cinéma espagnols. Non pas en raison de son palmarès, mais bien à cause des discours prononcés par certains lauréats au moment de venir chercher leur prix. En effet, Javier Bardem (prix du meilleur documentaire), Candela Peña (meilleure actrice dans un second rôle) et Maribel Verdú (meilleure actrice) ainsi que la présentatrice de la cérémonie, l’humoriste Eva Hache, se sont fait les porte-parole des victimes de la crise en s’en prenant directement à la politique d’austérité menée par le gouvernement. Des prises de position qui auront suscité commentaires et critiques tout au long de la semaine suivante.
Le maire de Valladolid s’en prend à Javier Bardem
Les propos de Javier Bardem, récompensé pour le documentaire qu’il a produit sur les camps de réfugiés du Sahara occidental, ont fait bondir le maire de Valladolid, Francisco Javier León de la Riva (Parti Populaire). L’acteur avait rappelé lors de la cérémonie que les Sahraouis n’avaient ni maison, ni collège, ni hôpital, avant d’ajouter : « C’est important que cela n’arrive pas ici. »
Mercredi, lors d’une conférence de presse sur un plan de réaménagement local, León de la Riva, habitué aux dérapages verbaux et suspecté dans diverses affaires judiciaires, en a profité pour ironiser sur « les artistes qui se montrent très solidaires avec les Sahraouis, chose qu’ils n’ont pas faite pendant les huit années de gouvernement socialiste, qui sont aussi pro-Palestiniens, mais qui, quand leur femme (Penelope Cruz en l’occurrence, Ndlr) doit accoucher, louent un étage entier au Mont Sinaï, l’un des hôpitaux les plus chers des États-Unis. Et un hôpital juif en plus… »
L’hôpital mis en cause par Candela Peña se défend
Lauréate du meilleure second rôle pour Una pistola en cada mano (« Un Pistolet dans chaque main »), Candela Peña a ému toute la salle en déclarant qu’elle n’avait pas travaillé durant les trois dernières années. « Pendant ces trois ans, j’ai vu mourir mon père dans un hôpital public où il n’y avait pas de couverture pour le couvrir et où nous devions lui apporter de l’eau. Pendant ces trois années, un enfant est né de mes entrailles et je ne sais pas quelle éducation publique il va recevoir… » En partant, elle a demandé du travail à la salle : « J’ai une famille à nourrir. »
Les accusations de Peña ont immédiatement été démenties par l’hôpital de Viladecans où le père de l’actrice était soigné. Dans un communiqué, la direction et le personnel de l’hôpital ont assuré qu’il n’y avait aucun problème de couverture et que les patients recevaient 1,5 litre d’eau par jour.
Maribel Verdú clouée au pilori
Mais celle qui s’est le plus attiré les foudres des élus du PP ainsi que de la presse proche du pouvoir, c’est Maribel Verdú, sacrée meilleure actrice de l’année pour son rôle dans Blancanieves de Pablo Berger. En référence aux expulsions immobilières, elle avait dédié son Goya à « tous ceux qui ont perdu leur maison ou même leur vie » à cause « d’un système injuste » qui, « comme l’a dénoncé Costa-Gavras dans son dernier film, vole aux pauvres pour donner aux riches. »
Un « discours malheureux » selon le quotidien très à droite La Razon qui titrait le surlendemain en une : « Maribel Verdú, de multipropriétaire, vendeuse d’hypothèques et actionnaire d’une clinique privée… à héroïne anti-expulsions et porte-drapeau des critiques au gouvernement pour les coupes budgétaires. »
Pour La Razon, « le danger avec la politisation du gala, c’est qu’on peut facilement tomber dans l’hypocrisie. » Et le quotidien de rappeler que l’actrice avait joué dans une publicité pour une entreprise de crédit immobilier (UCI) qui encourageait les gens à contracter des hypothèques. Le journal continue en précisant que la Plate-forme des Victimes d’Hypothèques signale qu’UCI a introduit des clauses toxiques dans ses hypothèques et accuse l’entreprise de pratiques irresponsables.
La Razon ajoute que, contrairement à Bardem et Peña, Verdú a évité de parler d’un secteur dans lequel elle a des actions puisqu’elle est actionnaire d’une clinique privée. Mais la liste des « méfaits » imputables à l’actrice dressée par le tabloïd ne s’arrête pas là. En effet, bien décidé à discréditer Verdú au maximum, La Razon précise qu’elle serait également propriétaire de quatre biens immobiliers et qu’elle portait, lors de la soirée des Goya, une tenue Dior évaluée à 8480 €. Le journal a tout de même l’honnêteté de précisé que la robe fut probablement prêtée par la marque.
Quant au volubile maire de Valladolid, il y est également allé de sa petite remarque sur Verdú lors de sa fameuse conférence de presse : « On pourrait demander des subventions pour construire la nouvelle bibliothèque de la ville à ces personnes qui sortent en tailleur Armani, qui ont vendu des hypothèques pendant des années et qui maintenant se joignent aux pauvres expulsés. »
Le ministre du Budget accuse les acteurs de ne pas payer d’impôts
De son côté, Cristobal Montoro, le ministre du Budget, n’a apparemment qu’assez peu apprécié les blagues dont il a fait l’objet de la part de la présentatrice de la cérémonie. Dans une vidéo faisant référence au film Blancanieves, Eva Hache, déguisée en torero, déclarait : « Je n’ai peur que d’un seul taureau, Mon-Toro », avant d’achever l’animal d’’un coup de pistolet. Et plus tard, évoquant le départ pour raisons fiscales de Gérard Depardieu en Russie, elle ironisait: « Il n’avait pas à aller si loin pour faire évader de l’argent, il lui suffisait de franchir les Pyrénées. Nous sommes très bons pour faire du cinéma, mais pour l’amnistie fiscale, nous sommes les maîtres. »
C’est donc un ministre plutôt remonté qui a pris la parole deux jours plus tard en pleine séance du Sénat. Montoro déclarant que le pays n’avait pas besoin de Depardieu. « Vous savez pourquoi ? Parce que certains de nos célèbres acteurs ne paient pas d’impôts en Espagne. » Avant de poursuivre : « Le jour où ils paieront, les recettes fiscales seront plus importantes et le déficit public baissera. »
Interrogé par Europa Press, le secrétaire général de l’Union des Acteurs, Iñaki Guevara, a qualifié les propos de Montoro de « vengeance ». Il a expliqué qu’il était normal que des acteurs qui travaillent aux États-Unis, comme Javier Bardem et Antonio Banderas, paient leurs impôts aux États-Unis. Et, s’étonnant qu’un ministre en séance parlementaire accuse tout le cinéma espagnol, il a ajouté : « Si le ministre sait (que des acteurs ne paient pas leurs impôts), qu’il les dénonce et les poursuive. »
Guevara rappelle par ailleurs que 90% des travailleurs du secteur sont au chômage. Et que si les membres du gouvernement donnent tant d’importance aux propos de Verdú et Peña, cela montre juste qu’ils ont peur. « Les citoyens sont crispés, indignés et ils leur font peur. La peur est en train de changer de camp. »
Humour noir et vindicte à la cérémonie des Goya, le compte-rendu de la cérémonie des Goya 2013 par Sandrine Morel (Le Monde).
AUTRES ARTICLES CINÉMA :
Grâce à Lo Imposible, le cinéma espagnole garde la tête hors de l’eau
Almodovar : « Señor Rajoy, ne vous appropriez pas mon silence »