Un jour, quelqu’un sonne à votre porte. Il est vêtu d’un haut-de-forme, d’une queue-de-pie et d’un noeud papillon, tel un « critique aquatique » échappé du Monde des Lettres de Fred. À partir de ce moment-là, il ne vous lâche plus. Il vous accompagne au boulot, au café, parle à vos amis, vos voisins, vos clients et met tout le monde au courant du secret honteux que vous aviez réussi à cacher jusque-là : vous êtes un mauvais payeur !
La situation financière difficile de l’Espagne et de ses habitants est une aubaine pour les sociétés de recouvrement de créances. Mais ici, certaines de ces entreprises ont des méthodes pour le moins surréalistes, voire pathétiques. On les appelle les « cobradores del moroso », littéralement « les encaisseurs de mauvais payeur ». Un secteur qui profite pleinement de la crise actuelle.
En effet, pour éviter des procédures judiciaires longues et à l’issue incertaine, bon nombre d’entreprises et de particuliers craignant de ne jamais revoir l’argent qu’ils ont avancé font appel au Cobrador del frac, l’encaisseur en frac, l’entreprise de recouvrement la plus célèbre d’Espagne. Elle existe depuis 24 ans et se croit héritière de Miguel de Cervantes, lui aussi cobrador avant d’être écrivain.
La technique d’un cobrador del frac : être le moins discret possible et faire honte au débiteur. Lorsque cette pression psychologique est mise sur le mauvais payeur, il ne reste plus qu’à attendre qu’il craque et rembourse son dû dont une
part pouvant s’élever jusqu’à 50% de la somme obtenue ira dans les caisses de la société de recouvrement.
Parfois, le cobrador n’est pas obligé d’aller jusqu’à enfiler le déguisement pour réussir une mission. Un couple ne s’était jamais acquitté des 60.000 € qu’avait coûté leur banquet de mariage. Le cobrador a pris son téléphone et a appelé tous les invités pour leur réclamer une part de la dette. Le couple, gêné, a immédiatement remboursé.
Dans une interview accordée au journal ABC en mai 2012, le directeur juridique d’El Cobrador del frac insiste sur le fait que les employés agissent toujours dans les limites de la légalité et que seules les entreprises solvables font l’objet d’une action.
La société assure aussi qu’elle n’accepte jamais de dossier concernant une dette entre deux particuliers. Alors puisque les encaisseurs en queue-de-pie ont délaissé un tel marché, d’autres s’en sont emparé. Avec la même recette, mais pas le même déguisement. Désormais, lorsque vous êtes endetté, vous pouvez recevoir la
visite de clowns, de moines du XVIIIe, de toreros, d’une légion romaine spécialisée dans les expulsions express ou même de Zorro qui a troqué son fidèle Tornado contre une Smart.
Si vous croisez dans la rue un cobrador vêtu de son déguisement bon marché, ne croyez pas qu’il se rend à la Puerta del Sol pour prendre des photos avec les touristes en échange de quelques euros. Il y a sûrement un mauvais payeur dans les parages.